« Mr Gwyn » d’Alessandro Baricco

Une morte qui parle, des ampoules comme magiques, des concertos pour clarinettes, ventilateurs et tuyaux hydrauliques. Tout est normal. Tu es chez Alessandro Baricco, un conteur des temps modernes à l’univers farfelu, poétique et délicat.

Son dernier né, sorti en avril 2014, nous raconte l’histoire d’un écrivain, « Mr Gwyn ».

Jasper Gwyn est un romancier anglais à succès, qui un jour se dit : stop. J’arrête tout.

Une sorte de coup de tête.

Plus envie.

Il clame au monde sa décision en écrivant  dans le quotidien « The Guardian » un article qui consiste en une liste des 52 choses que l’auteur décide de ne plus faire. Parmi elles donc : écrire des livres.

Sauf que personne ne le croit.

Son agent et meilleur ami Tom le premier.

– Cet article? Une provocation, tout au plus. Un écrivain ne peut arrêter d’écrire, c’est contre nature !

– Voyons Jasper tu déconnes? Tu tiendras pas!

Sauf que Jasper, qui ne plaisantait pas, se met bien en quête d’un nouveau métier, loin des livres.

Pas facile, parce que l’écriture peut être aussi addictive que la meth, vois-tu. Mais il parvient tout de même à tenir loin de lui toute idée de roman.

Et puis la révélation lui vient un jour où la pluie le contraint à s’abriter dans une galerie d’art, habituellement le genre d’endroit qu’il évite. Les tableaux ne lui parlent pas.

Jusqu’à ce portrait : celui d’un vieil homme que le peintre semble avoir « reconduit chez lui ».

Eureka!

– Je vais reconduire les gens chez eux Tom!

– Quoiiiii?

Tout comme toi, Tom ne comprend pas. Ca veut dire quoi « reconduire les gens chez eux » bordel?

– Je vais être copiste : je vais faire le portrait des gens. Mais non pas en les peignant. En les écrivant.

Ecrire le portrait des gens? Oulalala, ça s’annonce chiant de descriptions interminaaaaables ça, te dis-tu!

Mais ce serait mésestimer le talent de notre écrivain, qui compte bien s’y prendre tout autrement. Des mots certes, mais point de qualificatifs dégoulinant sur la forme – généreuse – de tes oreilles et le – pointu – de ton nez.

Et l’expérience commence, sous l’attention plus que sceptique et désabusée de l’ami Tom.

Tout comme un peintre, il faudra à Jasper se trouver un atelier, mais surtout une ambiance.

Un agent immobilier s’appliquera à lui dégoter Le lieu aux caractéristiques les plus proches des clichés que tu pourrais avoir d’un atelier d’artiste .

Un vieil artisan loufoque, qui semble vivre dans un monde parallèle où les ampoules sont aussi vivantes que des créatures terrestres, se chargera quant à lui de la lumière.

Habiller l’endroit d’un fond sonore semble tout aussi nécessaire à Jasper que l’éclairage de la pièce. Il contactera un compositeur de sons les plus quotidiens, les moins musicaux te diras-tu, mais ne présage de rien, laisse-toi surprendre!

Et puis cette dame rencontrée une seule fois, fortuitement, avec qui une complicité immédiate s’est tissée, et qui lui parlera, depuis trépas, tout simplement.

Voilà l’univers dans lequel te plonge Baricco pour une aventure artistique inédite, un fantastique subtil mais néanmoins réellement barré qu’il te contera le plus normalement du monde.

Et si le côté « foufou-l’air-de rien » t’amuseras, « Mr Gwyn » n’en est pas moins un roman qui saura t’intriguer.

Jasper met en place, tel un scientifique, un processus très précis pour son expérience, et le rituel aura l’effet d’un sort qui s’accrochera aux personnages.

Tu verras que la minutie du copiste te donnera la cadence d’une lecture que tu voudras attentive, comme pour décoder toi aussi ce qui se dégagera de l’atelier et des corps nus.

Et là, la magie de l’écriture d’Alessandro Baricco te racontera des histoires dans des quasi silences, te posera un monde dans une pièce presque vide.

Môssieur Baricco, dit-on chez moi.

Ah ben tiens regarde, reste de la place dans ta valise. Voilà, pile poil! Bon voyage « Mr Gwyn »!

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