Aujourd’hui, je vais te parler de mon boulot d’avant.
J’ai travaillé pour une fédération de fédérations (non non, je ne bégaie pas) artistiques et culturelles, dont la création a été inspirée par le principe du « plus on est de fous plus on rit »..
euh non c’est pas ça …
ah oui, ça me revient, … par le principe de « le nombre fait la force ».
Leur bataille originelle? Faire reconnaître la non-lucrativité des activités artistiques et culturelles des structures que chacune représente. Car, soit, les acteurs culturels achètent et vendent des spectacles mais l’idée n’est pas de se mettre les bénéfices dans la poche, vois-tu ? Mais bien de les réinjecter dans le projet et financer ainsi d’autres spectacles. Ca s’appelle la gestion désintéressée.
Et à l’époque (nous sommes dans les années 90),le ministère de l’économie et des finances ne voyait pas les choses comme ça : il avait comme projet de réforme de faire basculer sous le régime des impôts commerciaux toutes structures achetant ou vendant quelque chose Un truc simple, carré, tranché.
Sauf que, Ministère de l’économie et des finances, tes parents t’ont pas appris que la vie c’était pas tout noir ou tout blanc ?
Donc des fédérations de divers domaines artistiques se sont regroupées pour expliquer à l’Etat la subtilité de leurs activités, et conjointement, ils sont parvenus à définir les critères de non-lucrativité, permettant à leurs acteurs d’être exonérés des impôts commerciaux.
Hourra, victoire !
Forts de leur réussite, ils se sont dit « et bien restons groupés les gars, défendons et inventons main dans la main les politiques que nous souhaitons mettre en place ! »
La fédération de fédérations – à vocation politique – était née.
Oui c’est beau. Plus tard, on parlera d’« intelligence collective ». Mais on se rendra aussi compte que la réunion de connaissances ne fait pas nécessairement émerger de l’intelligence.
Mais ceci est une autre histoire.
Reprenons le fil de la nôtre : 15 ans plus tard, la fédération des fédérations existe toujours, et elle est même allée chercher des sous auprès de l’Etat et des collectivités territoriales, ce qui a permis de créer tout d’abord 1 poste salarié, puis 2, puis 3 puis 4. J’ai occupé le 4. J’étais principalement chargée de coordonner un groupe de travail.
Mais le problème, c’est que quand je sollicitais des personnes pour plancher sur un sujet, on me répondait : « non j’ai pas le temps, je suis désolé, tu comprends, je suis juste bénévole de ta fédération de fédérations… »
Ah. Bénévole. Le mot est lâché. Culpabilisant pour celui qui demande, et indice de tant de bonté, de générosité, voir de courage, de celui qui l’exprime.
Et bien les gars, vous avez été si forts pour définir les critères et les subtilités de la non-lucrativité, pourquoi n’essaieriez-vous pas de définir les critères et les subtilités du bénévolat ?
Que j’en demande trop à mon voisin boulanger qui m’aide à coller les affiches de mon spectacle, oui, je mesure le désintéressement de son geste : ça rend clairement pas son pain meilleur.
Mais toi, là, tu es payé par ta fédération, celle-là même qui a constaté qu’il était intéressant de mener un travail en commun, parce que des objectifs politiques partagés, et portés à plusieurs, avaient plus de chance d’être atteints. Donc je travaille pour toi, au final, tu sais.
Soyons clair, sans toi, l’intérêt de mon groupe de travail est nul. Ton existence précède la mienne. Et plus globalement, sans fédération, pas de fédération de fédérations. Tu en conviens ? Tu ressens mon CQFD là ?
Mes sujets de travaux sont liés à ton métier quand même, donc, soit, ça te prend du temps et tu ne touches pas plus de sous quand tu travailles avec moi, mais de là à dire que c’est professionnellement désintéressé, je trouve ça gonflé !
Voilà comment je me suis retrouvée à coordonner un groupe de travail d’une personne, et comment j’ai appris à broder des phrases pour écrire des textes avec les 4 mots-clés que l’on m’avait donnés .
Et avec le temps, j’ai compris qu’au fond, la raison de tout ça, du « j’ai pas le temps », c’est parce qu’ils n’avaient peut-être rien de plus à raconter que ces 4 mots-clés…
Ca donnait ça en fait :
Alors autant te dire, qu’en termes de compétences développées, j’ai cartonné! Cette expérience là, sur mon CV, tu n’as d’yeux que pour elle !!! Gros gros potentiel de mise en valeur professionnelle!
Mais, pour m’occuper et me motiver à la tâche , j’ai fait des compte-rendus illustrés.
Je te montre (regarde-les en grand, s’il te plait, fais honneur) :
Marylise Lebranchu, ministre en charge des réformes territoriales, s’adressant aux associations lors d’une rencontre nationale:
Tu te souviens de mon billet sur le civisme? Il te disait que toi aussi tu pouvais avoir ton mot à dire sur l’organisation de ta vie en collectivité? Et bien il faut savoir que dans la réforme de l’organisation territoriale en cours, on prévoit de créer des espaces de concertation et de travail entre élus des différents échelons territoriaux (département, région, Etat, ville, agglomérations..), mais que rien n’est prévu pour que les citoyens participent aux débats et aux décisions! Autant te dire que les associations étaient fâchées! Et Marylise Lebranchu leur a donné raison et les a encouragés à proposer des amendements au projet de texte de loi, en faveur de la démocratie.
Ensuite, une illustration de Philippe Aigrain, co-fondateur de la « Quadrature du Net » , une association qui défend les droits et les libertés des citoyens sur Internet. Il est militant de ce que l’on appelle les « biens communs », ou « les communs » , c’est-à-dire ce qui appartient à tous et qui est de la responsabilité de chacun. C’est quelque chose que l’on n’a pas le droit de s’approprier au détriment de quelqu’un d’autre. On parle souvent de l’eau comme bien commun de l’humanité. De la culture aussi. Il était venu nous parler plus précisément du concept.
Le truc, vois-tu, c’est que je crois que personne ne lisait mes compte-rendus, je suis un peu dégoutée que tant de gens soient passés à côté de mon talent…
Damn it…