Ou l’histoire qui n’est pas écrite.
Cette nouvelle de Maguerite Duras nous parle en dehors du texte. Etrange ? Je ne te le fais pas dire! Car l’écriture y atteint le paroxysme de la subtilité : nous suggérer, à voix étouffée, dans les silences.
Anne Desbaresdes accompagne chaque vendredi son fils à ses cours de piano, chez mademoiselle Giraud, une enseignante stricte qui oscille entre agacement et désabusement car l’enfant lui manifeste assez explicitement son non-intérêt pour ses leçons : « j’aime pas le piano » (on ne saurait être plus explicite, tu en conviendras..) Alors qu’à bout de nerfs elle tente d’inculquer à l’enfant (oui, l’enfant n’aura jamais d’autre nom, il sera appelé ainsi tout au long de la nouvelle) le principe du moderato cantabile, une agitation venue du café d’en bas retient l’attention de sa mère. Un crime passionnel vient d’avoir lieu et elle descendra en faire le constat :
« une femme était étendue par terre, inerte. Un homme, couché sur elle, agrippé à ses épaules, l’appelait calmement.
-Mon amour, mon amour »
A priori, rien ne nous dit que cet évènement va obnubiler Anne, elle sen détourne en sermonnant son fils d’un « quand même tu pourrais t’en souvenir une fois pour toutes. Moderato, ça veut dire modéré, et cantabile, ça veut dire chantant, c’est facile. » Autrement dit, une parenthèse dans le cours de sa vie, dont elle semble reprendre le fil immédiatement.
Sauf que, Anne retournera sur le lieu du crime, ce café banal, où se retrouvent les ouvriers du chantier naval à la fin de leur journée.
Régulièrement, elle y viendra boire du vin.
A chaque fois, elle y discutera avec un homme, Chauvin.
Ils parleront du crime, de la relation entre la victime et l’assassin, du comment ils en sont arrivés à cette fin tragique…
Des questions, des suppositions entre fascination et …. prétexte. Car si leurs échanges tournent autour de l’assassinat, s’y entremêlent, sans transition aucune, des propos sur la vie même d’Anne (son enfant, sa maison…). Et soudain Chauvin n’est plus une rencontre fortuite, il semble la connaître mieux que l’on supposait.
Par moment, on ne sait plus de quoi ils parlent. Tout se mêle.
Que cherche Anne, qui est Chauvin, quelle est leur véritable relation, le couple passionnel est-il une mise en abyme d’eux mêmes.. ? On suppose, on ressent : sous les apparences de conversations anodines au fond d’un bistrot, rythmées chacune d’elles à l’identique, une tension dramatique se joue, moderato cantabile.